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La chanson française sur la crête de la nouvelle vague:
Le clan Biolay, des sensations pures

Ces chanteurs qui murmurent à l’orée des cheveux
La chanson française égrène ses nouveaux talents dans la jungle des bacs à disques. En douceur, à l’instar de leurs productions. Les mots enlacent les notes, parfois accrochent et glissent sur des mélodies susurrées. French touch de la voix. Du bouche à oreille. Une chanson dans une chevelure. Le public récolte et apprécie.
Symbole prolifique d’une nouvelle génération de joueurs de lettres, d’airs et de cordes vocales, Benjamin Biolay a séduit il y a 2 ans en cultivant le “Jardin d’Hiver” d’Henri Salvador. Cette fois, il est revenu avec un album plein, conceptuel, rétro, «Rose Kennedy», ou comme compositeur pour celui très remarqué de sa sœur Coralie Clément: «Salle des pas perdus» (voir chronique plus bas). Sur les 2, le souffle lyrique porte des mélodies fraîches et alanguies. Benj’ a l’art de balancer des mots très recherchés aux sonorités charmeuses (allitérations, assonances...). Avec élégance. Avec clâââsse, svp. Autant de raisons donc de s’arracher le prodige lyonnais, qui multiplie les apparitions: il collabore avec Isabelle Boulay, compose pour Keren Ann, etc.
Keren Ann justement, autre jardinière du succès de Riri Salvador, se joint à la danse avec un 2ème CD, rond et abouti: «La Disparition». Même touches discrètes, voix frêle en imminence de désintégration, présence suave comme une ondée câline et éphémère. Présence en anglais aussi, sur une compile des Inrocks.
Il y a une certaine émulation créative hors le team Biolay&Co; pour preuves, Sylvain Vannot dont le cinquième album, «Il fait soleil», séduit par la qualité de l’écriture, musicale et littéraire, Karen Clercq, la surdouée belge, ou Chet, l’affineur de mots. Et, dans la voie légère, fruitée, badine ou poétique, Philippe Catherine (et sa sœur) et Françoiz Breut, déjà reconnus. Pour ne plus parler de la veine plus rock, représentée par Saez ou les groupes Dolly et Dionysos dont les tout récents albums ont de quoi faire frémir les épidermes les plus tannées. Pour ne plus parler d’un De Palmas ou d’un Yann Tiersen large public. Le renouveau musical français est en bonne santé multicartes.
Loin des excès et de la provoc facile, ces chansonniers creusent leur trou à coups de textes malins, de mélodies légères et têtues. Le temps de la rébellion proclamée serait-il révolu? Pas besoin de supprimer ses modèles quand le talent est au rendrez-vous. Pas besoin de tambours battants quand on aime le calme descriptif, la réserve émotive. Le passage du relais s’effectue en toute tranquillité. Il y a ceux qui sont un pied dans le hier et l’autre dans l’aujourd’hui comme Dominique A. Il y a ceux qui viennent des eighties comme Jean-Louis Murat, dont le dernier bébé, tout beau, «Le Moujik et sa femme» ouvre les portes de l’introspection, sans perdre de son allant. Et il y a toujours un Etienne Daho et un Alain Bashung prêts à dégainer un nouveau boomerang, joliment orchestré, et dont l’influence commence à porter des fruits chez les nouveaux arrivants, Biolay & co ou les autres, susnommés. Ces derniers n’explosent pas les tabous pour attirer l’attention, leurs chansons sont innervées d’amour, de mort et de temps qui passe, baignées de mélancolie, immergées dans la poésie. Pas de sentimentalisme pour autant; on constate, consciencieux, les misères et les failles, avec de la dignité, de la retenue. De la distance parfois. Un bonheur sans effluves, de l’amour sans sperme et de la mort sans sang, un pathos déguisé en suggestions, en notes douces susurrées à l’oreille du partenaire. Partenaire d’un jour, d’un soir, nous-mêmes, éblouis et puis abandonnés au dernier accord.

Vincent Braconnay